Michèle Dujardin et Stéphane Korvin dans d’ici là n°5

mercredi 11 juin 2014

Tous les numéros de la revue d’ici là à 1,99€ du 4 au 30 juin

Dans le cadre de la promotion sur les numéros de la revue d’ici là, proposés à 1,99€ sur publie.net, du 4 au 30 juin, nous sommes heureux de vous proposer ces différents numéros de la revue en mettant tour à tour l’accent sur un extrait, un portfolio d’images, tout en vous présentant son auteur.

Le cinquième numéro de la revue d’ici là est consacré à la sérendipité (ce qu’on trouve sans le chercher) :

Le cœur est voyageur, l’avenir est au hasard.

« Ils parlent de la mort / Comme tu parles d’un fruit / Ils regardent la mer / Comme tu regardes un puits / Les femmes sont lascives / Au soleil redouté / Et s’il n’y a pas d’hiver / Cela n’est pas l’été / La pluie est traversière / Elle bat de grain en grain / Quelques vieux chevaux blancs / Qui fredonnent Gauguin / Et par manque de brise / Le temps s’immobilise / Aux Marquises

Du soir montent des feux / Et des pointes de silence / Qui vont s’élargissant / Et la lune s’avance / Et la mer se déchire / Infiniment brisée / Par des rochers qui prirent / Des prénoms affolés / Et puis plus loin des chiens / Des chants de repentance / Des quelques pas de deux / Et quelques pas de danse / Et la nuit est soumise / Et l’alizé se brise / Aux Marquises

Le rire est dans le cœur / Le mot dans le regard / Le cœur est voyageur / L’avenir est au hasard / Et passent des cocotiers / Qui écrivent des chants d’amour / Que les sœurs d’alentour / Ignorent d’ignorer / Les pirogues s’en vont / Les pirogues s’en viennent / Et mes souvenirs deviennent / Ce que les vieux en font / Veux tu que je dise / Gémir n’est pas de mise / Aux Marquises. »

Jacques Brel, Les Marquises.

Aujourd’hui, la sérendipité avec un texte de Michèle Dujardin Bruits de portes et le poème de Stéphane Korvin accompagné de ses polaroïds dans ce cinquième numéro de la revue :

Bruits de portes

partir dans le bruit de la pluie, tête pleine de bruit, mains serrées sur les genoux de bois - couler par les grands bruits de portes, les bruits de la vie et ses bris, ses miettes, cela arrive, cela revient, les beaux soirs de pluie de la vie, cela s’apprend le bruit du partir, son goût de pluie sur les lèvres, ce petit bruit d’argent, ces cris de loin, ces voix pour la passe des âmes
la nuit du partir est son théâtre, toujours rouge de face, feux battant vitre et métal et ces pauvres habitacles de chair, bouches empâtées de sable, cela s’écoute sans se comprendre, et que dire d’adieu, de prières, de nerfs - ce qui hurlait dans la tempête, hurle encore dans nos crânes, eut très vite raison des racines de nos arbres : couchés morts
un partir à trame usée, formant vertige avec années trop claires, effritées en surface, sèches comme les vieilles forêts tombées et les fissures, les craquements dans le rire, cela s’emporte avec le reste, le dos rond, les débris de gel intense, ce verre au bout des doigts surpris - rien dont la route dise : je me souviens – ni l’aube incandescente, table mise dans les pierres, ni les livres aux couvertures étroites, que nous partagions tête-bêche avec la mort, si jeunes, quand joyeusement nous allions en poètes – ni les mains ouvertes, errant près des mains ouvertes – désormais, nous écrivons à partir du vide, non plus au bord : les modèles s’évanouissent, notre vieillesse nous allège, et nous entrons comme une grande verticale en marche, seuls dans la peinture nue
parfois jaillit une phrase, brève, diffuse, d’une artère de la nuit - la machine tourne, gronde, et dans le bloc du corps dressé toutes les tensions du poème s’engagent – intact, unique, répété : l’instant
mais l’autre, l’aimé, est laissé nulle part, étranger dans une langue de glace soudée au rocher et qui ne s’entend plus : parmi ses bagages, des grammaires et des lexiques, et le passé de ses blessures, toujours à saigner au bruit de la pluie, aux grands bruits de portes - il ne sait pas où est son autre, parti comme un point qui s’échappe – le bruit, cela revient tous les soirs - à la recherche d’un chant, inexprimable et ne pouvant être tu, un lieu désert, portant une voix dans son vide - cela arrive à certains - un dire qui n’a pas d’ici, pas de fond, pas de face - mais où cette voix ? l’aveugle voix, dans les tempes, les murs ? demande l’échoué, renverse-moi en être, emporte-moi, ouvre-moi ! c’est un dire qui file, qui n’écoute pas
la machine entraîne des machines, forçant la nuit, remuant dans la même pluie les graviers et les feux, les dés, les adieux, les petits bruits de la vie, ses grands bruits de portes - le furtif, l’instable du monde saisi par les ailes - d’une vitre, d’un pont, d’un chemin, du haut du ciel : des jours, des embrasures dans le couloir pour la parole sauvée, qui reprend souffle, s’ébroue, hors de la nuit des significations - voit, à nouveau – à l’intérieur des mots brisés, déchiquetés par la vitesse – non pour parler à l’autre, non pour parler, mais pour dire ce dire qui ne répond pas
l’autre, l’aimé, rassemble ici les cartes, les livres ; il croit aux signes, aux lettres, il sursaute aux bruits de portes, il compte le temps sur ses doigts – il ne fait plus la différence entre l’automne et l’hiver - quand des ombres s’avancent, il les accueille, il leur ouvre les bras : vous avez croisé son regard, dites-moi quand, son visage, où va sa route ?
parti est son autre, avec ces rouges brouillés dans les feux de nuit, et les carnets où sa main tâtonne, cherche l’écriture, et les vraies lumières, qui viendront par surprise, ou ne viendront pas – obscurs, ces mots brisés qui rayonnent, lunaires, de l’autre côté des vitres, loin du bruit et sur le seuil, portant l’écrire en avant de leur coquille sèche – en deçà des carnets, mais au bout de la route, à la rencontre du jour et de tout ce qui advient quand même - le chant, le lieu désert et la voix dans son vide – ou bien n’advient jamais - de tout ce qui fait courir l’autre
reste la nuit de l’aimé, sa pluie, ses bruits de portes : partir les ramasse dans le feu, aux beaux soirs de la vie, en éclaire la route de l’autre – sa course, l’orbe noire du poème

Sommaire du numéro :

Gilles Amalvi, Joël Baqué, Perceval Barrier, Étienne de Bary, Daniel Cabanis, Luc Dall’Armellina, Philippe De Jonckheere, Caroline Diaz, Michèle Dujardin, Elisa Espen, Michel Falempin, Claude Favre, Jean-Yves Fick, Jean-Marc Flahaut, Stéphane Gantelet, Nathanaël Gobenceaux, Christine Jeanney, Anne Kawala, Klimperei, Stéphane Korvin, Elise Lamiscarre, David Lespiau, Laurent Margantin, Stéphane Massa-Bidal, Pierre Ménard, Juliette Mezenc, Sandra Moussempès, Régis Nivelle, Florence Noël, Grégory Noirot, Jean-Noël Orengo, Isabelle Pariente-Butterlin, Arnold Pasquier, Daniel Pozner, Pierremannuel Proux, Alain Robinet, Anne Savelli, Joachim Séné, Nicolas Vasse, Guillaume Vissac, Colette Tron, Éva Truffaut

42 auteurs / 135 pages

PNG - 139.8 ko

Michèle Dujardin, est née à Marseille en 1955. Elle a publié aux éditions du Seuil, collection Déplacements, Abadôn, en 2008. Elle a publié plusieurs ouvrages chez Publie.net, le dernier écrit Ligne avec Sébastien Écorce, Publie.net

Stéphane Korvin, né en 1981, vit et travaille à Paris. Il poursuit un travail photographique et pictural autour des espaces projetés du corps et a, notamment, réalisé une série photographique à Gao (Mali) autour du Calendrier lagunaire d’Aimé Césaire, qui a donné lieu à une exposition à la galerie Le Lucernaire à Paris. Ses textes sont régulièrement publiés dans les revues A Verse, d’ici là, Libr-critique, N4728 ou Pyro. Percolamour est son premier recueil publié aux éditions Isabelle Sauvage. Le site de Stéphane Korvin.


Voir en ligne : Revue d’ici là n°5

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n'apparaîtra qu'après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.