Parution de "220 satoris mortels" de François Matton
samedi 16 mars 2013, par

François Matton a participé aux quatre premiers numéros de la revue d’ici là.
Sur son blog, François Matton présente son dernier ouvrage 220 satoris mortels, paru chez P.O.L. :
« Ce dernier livre est né de la rencontre improbable d’un désespoir terrible et d’une joie immense. »
Il précise un peu plus loin : « J’ai vécu cette drôle d’énigme de très nombreuses fois, dans des situations les plus diverses. Chaque page du livre évoque l’une d’elles.
Comme il s’agit de circonstances où le langage vacille, le recours au dessin s’est imposé. Il fallait donner à voir pour de bon, il fallait du visuel, des formes précises émergeant de l’encre noire. Montrer des corps et des visages. Montrer des maisons, montrer des camions, des machines, des usines, des animaux. Montrer des jolies filles. Montrer la réjouissante variété du monde accessible à chaque instant : il suffit d’ouvrir les yeux, de se promener, de voir, juste de voir, sans commentaire, sans histoire, c’est la joie. »
Les satoris, dans la définition qu’en donne François Matton, empruntant le mot au bouddhisme zen qui reconnaît dans l’éveil une expérience transitoire dans la vie, presque traduisible mot à mot par épiphanie, le satori étant la réalisation de cet état d’éveil épiphanique, sont de « drôles d’événements non événementiel, pas spectaculaire du tout et pourtant parfaitement inédit. » C’est un « arrêt sur image. » Ou plus encore : « Une suspension du cours des choses. Une suspension du sens de tout. Vertige. Une perte de soi pour une présence de tout. »
Du dessin au texte et du texte au dessin, ce qui se joue ce sont les allers-retours entre les deux, leurs échanges, leurs attaches, leur dialogue. Le texte redouble parfois le dessin, mais il s’inscrit tout aussi souvent en creux qu’en décalage. Rébus dont le lecteur s’empare pour se raconter son histoire, c’est-à-dire pour se voir dans le miroir que lui tend l’auteur, miroir déformant et glace sans tain : « Oui, vous êtes là, mais ce n’est pas vraiment vous. [...] Plus d’âge, plus de sexe, plus de profession, plus de souvenirs. Plus grand-chose. »
Dans les vignettes de François Matton on retrouve les tropismes de Nathalie Sarraute, ces sortes de mouvements difficiles à déceler, à définir, parce qu’ils n’entrent dans aucune catégorie psychologique, des états de conscience aussi fulgurants que banals. Ce sont des mouvements qui poussent le langage, donnent naissance au rythme de la phrase, et constituent des sortes de petites actions dramatiques, qui se passent tout à fait de personnages nommés, de temps chronologique défini.
"220 satoris mortels" de François Matton est un inventaire inventif, une collection de temps en suspension et d’instants d’éternité, ces moments charnières où le temps et l’espace semblent se jouer de nous, d’énigmes sans solution, de mystère qui s’épaississe, d’images sans légende, de menace indicible devenant offrande, de porte ouverte au bout de l’impasse, de moments de grâces, de regards qui révèlent d’un coup le calme d’un instant et sauvent votre journée, quelque chose d’une douceur infinie, de souvenirs faussés par la fatigue, l’émotion, de brusques changements de perspective ou de focale transformant tout à coup ce qu’on voit au-dehors au-dedans, de clins d’œil dans l’ombre d’un doute, de tendres sourires, de mauvaises blagues, de souvenirs érotiques qui refont surface inopinément, de visages aimés, de moments de repos et de prose, de désordre affectif, d’envie soudain de tout arrêter, de familiers reproches, de rapprochements insolites, de retours en arrière, de premières fois frissonnantes, de lumières changeantes, de paysages inoubliables, de silences qui reviennent sans prévenir, de reflets dans le miroir qui changent parfois la face des choses, de bruits étranges, de révélations de dernière minute, d’impressions de déjà-vu, de troubles passagers, d’absences involontaires, de transparence sans trace de rien, de temps mort, au seuil de l’inconnu.
Nous pouvons les nommer tropismes, satoris ou bien encore épiphanies, ces moments là, mais c’est bien ce rapport au temps qui nous émerveille à la lecture du magnifique ouvrage de François Matton et qui nous le rend si familier. Un ravissement...
Voir en ligne : Présentation du livre sur le site de son éditeur P.O.L.