Julien Boutonnier vient de publier "Ma mère est lamentable"

mardi 20 mai 2014, par Liminaire

« Comment chercher une image qui existe en rêve ? Il apparaît que, radicalement, il n’est d’autre solution que de la réaliser. »

Julien Boutonnier vient de publier Ma mère est lamentable un très beau texte chez Publie.net dans la collection L’Inadvertance dirigée par François Rannou. Ce dernier présente ainsi cet ouvrage : « Ce poème est le récit fragmenté d’une perte. Des photos viennent donner apparemment un semblant de réalité à un parcours intérieur marqué par la douleur. Et le cri. Quand j’ai lu le manuscrit de Julien Boutonnier, c’est ce qu’immédiatement j’ai senti. »

La lecture du livre de Julien Boutonnier m’a rappelé le texte de Maurice Roche : Compact. « À un certain niveau, mon livre est une ville avec ses parcours, ses sens interdits, ses réseaux, ses bruits... À un autre niveau, Compact est un crâne, le crâne étant le lieu de toutes les villes possibles, passées et à venir... Ce qui dure le plus, c’est l’os : la tête de mort - même pulvérisée par une bombe atomique, la ville toujours demeure, le squelette. »

Sur ce texte de Maurice Roche, Édouard Glissant écrivait dans un article des Inrockuptibles paru en 1997 : « Le livre a rassemblé pour nous les épars, les ratures (l’écriture comme une griffade obstinée), les dévoiements les plus salutaires, et ce qu’il y aura dans les livres suivants de musique, de maladie et de mort, une poussière infinissable. Mais qui se rameute comme du granit, de la lave érigée. Comme un totem s’étend, comme une langue s’invente dans la langue, comme un monde. Éclaté, sinuant, chatoyant ses couleurs, dispersant sa matière, et en même temps plein et compact. Comme roche. La question demeure, pour nous tous qui peut-être nous aveuglons dans notre temps : « Comment désormais faire le départ du jour et de la nuit ? » Nous compulsons Compact, qui est notre Braille dans ces pénombres. »

Le livre de Julien Boutonnier se termine par ces mots qui évoquent avec une grande justesse la beauté de ce parcours en forme de cri « dans les méandres aigus des phrases » où « la mort a ouvert les yeux du vivant » :

« tous ces mots qui textilent nos sentiments
dans la maison humaine »

Voici un court extrait du texte qui fait écho à celui publié dans le numéro 10 de la revue d’ici là :

à verse et sans eau

dépoitraillé dans plaie

bras serrés autour crâne

à mourir amour ton cri

vivre douloureux si vivre douloureux

à commencer ce sans cesse

cuisses hurlantes déferlées

à mordre le cri vivre sans peau

nos os hurlent

à creuser tombes

à lier vie amour

à revenir au lieu

puis pleurer vers océan visage océan saline océan tristesse


hurlantes vêtures que paupières closes


chercher nos yeux fermés qui jonchent le chemin


Julien Boutonnier a publié dans le dernier numéro 10 de la revue consacré au corps amoureux un très beau texte intitulé Extraits du nouveau traité d’ostéologie dont voici un extrait :


avec 6 figures dans le texte


1. Nous avons détourné l’ongle meurtri du jour, nous l’avons poli, usé, poncé jusqu’au geste le plus nocturne. Parmi les sutures, nous signalerons la suture sagittale, ou suture médiane longitudinale. J’ai vu plus d’une fois ma peau s’ouvrir à la venue du nord et mes yeux jeûner dans l’amas des corps consumés de mort. Il y eut des fleurs pour noircir le tableau, souligner le jour crayeux, des fleurs pour parapher l’humeur atone des murs nus et la marche morte des hommes de somme et cette suture sagittale qui se divise en arrière pour embrasser l’os occipital, en prenant le nom de suture lambdoïde, en tombant perpendiculairement sur la suture Jronto-PQriétale, qui unit le frontal aux pariétaux.

2. Les os rêvent.

3.

4. Les os rêvent et ces rêves sont une théorie.

5. Les os, qui plus tard entreront en connexion si intime, ne se touchent même pas en certains endroits et’ sont séparés par des espaces membraneux qui ont reçu le nom
de.fontanelles. Nos mains éboulées ont roulé dans l’herbe mémorieuse, nos os rangés dans la remise ont chantonné le printemps doux, la médiane antérieure qui _répond à l’union des parIetaux. avec les deux moitiés du frontal est la plus étendue. Le loup triste a rodé alentour, vers mes organes et les mots des anciens. Quand le cimetière a
joué du violoncelle, nous sommes allés nous jeter dans l’ambition d’une amibe.

[…]

78. Tandis que la • Trtêdiane postérieure, qui est comprise entre les .deux pariétaux et l’angle supérieur de l’occipital n’existe plus qu’à l’état de Vestige à cette époque *, sur la table la viande ouverte regardait par la fenêtre. Mon père a noué mes veines à sa ceinture. Je les ai arrachées. J’ai été le sang des fossés, le sang des orties, le sang du feu.

79. La rêverie des os sécrète le tissu complexe de nos habits de chair, les fluides et les fibres.

80. Tu es parti avec les remous de la rivière, les joncs se sont penchés à ton passage, ont frôlé l’eau du rêve, ont murmuré les sanglots des générations sur les rides muettes des corps et des corps : ils comprennent : un os impair antérieur, le frontal ; deux os ?aifs> les pariétaux, situés en arrière du précédent ;. et un os IInpair postérieur, l’occipital. Sur les arbres furieux on pouvait lire que nous n’avions pas su vivre.

81.

82. On donne le nom d’arcades orbitaires aux bords supérieurs des orbites. Je me souviens que mon père avait fourré son cœur dans ma bouche et qu’il essayait de m’étouffer. En général, chez l’adulte, on ne trouve plus trace de cette soudure ; dans certains cas cependant, le frontal reste double. Mais à la fin j’ai vu le désastre
des fleurs aux couleurs éclatantes.

83. Nos os rêvent. Sans ce rêve qu’ils mènent à toute heure du jour et de la nuit, nos chairs s’effondreraient, elles tomberaient en lambeaux. Nos os, par leurs songes, maintiennent la cohésion du corps, en garantissent le bon fonctionnement.

84. C’était le soir dans le cœur et depuis longtemps le sang ne chantait plus. En revanche, chez les Mammifères, le frontal est le plus souvent un os pair ; il faut excepter toutefois l’Éléphant, le Rhinocéros, les Insectivores, les Chéiroptères, les Prosimiens et
les Primates. Mais tu aurais pu jouer avec le liseré de ronces sur tes lèvres.

[…]


Voir en ligne : Ma mère est lamentable

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